[Tribune] Nouveau-Brunswick : Une législation capitale à la sauvegarde du français et sujette à controverses
par Alexis Vigner
Avec un peu plus de 30% de francophones d’après un recensement fait en 2016, le Nouveau-Brunswick est la province la plus francophone d’Acadie, et la deuxième du Canada derrière le Québec. Afin de garantir l’égalité entre les deux langues et la survie du français, dans une province où les francophones sont minoritaires, un arsenal juridique a été mis en place. L’élément le plus important de ce corpus est sans doute la Loi sur les langues officielles (LLO), adoptée la première fois en 1969. Cependant, les propositions de révision de cette loi provenant du gouvernement de la province suscitent toujours de nombreux débats à l’heure actuelle.
En quoi consiste la Loi sur les langues officielles ?
La Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick consacre le caractère bilingue de cette province canadienne et reconnaît le droit fondamental des Néo-Brunswickois de recevoir des services gouvernementaux dans la langue officielle de leur choix. La première « Loi sur les langues officielles » a été adoptée en 1969, puis une nouvelle datant de 2002 a remplacé cette dernière. Parmi les nouveautés de cette nouvelle loi on trouve la création d’un Commissariat aux langues officielles dont le but est de veiller au respect de la LLO. Pour ce faire, il reçoit les plaintes du public, mène des enquêtes et formule des recommandations.
Importance et fragilité de la LLO dans la protection de la langue française
La particularité de la LLO est sa révision obligatoire tous les dix ans. Or, depuis plusieurs mois, de nombreux débats et polémiques prennent place autour de cette révision.
Une première polémique a éclaté lorsque Blaine Higgs, actuel premier ministre du NouveauBrunswick, a formé un comité fin 2022 pour étudier les modifications qui pouvaient être effectuées concernant la LLO, et y a nommé Kris Austin. Une personnalité connue notamment pour ses positions défavorables envers le bilinguisme officiel, ce qui a suscité l’ire de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) et des députés de l’opposition.
De plus, le projet de loi sur les langues officielles de Blaine Higgs, présenté en mars 2023, prévoyait une mesure qui annulait l’obligation de réviser la LLO. Une proposition à laquelle s’est opposée la commissaire aux langues officielles, Shirley MacLean, mais également les partis d’opposition et la SANB, dénonçant une atteinte à la minorité francophone. Ainsi, face à l’opposition, le gouvernement a été obligé de reculer. Benoît Bourque, député libéral de Kent- Sud, avait présenté un amendement pour que la révision obligatoire se fasse tous les sept ans, mais cela n'a pas été retenue par la majorité conservatrice.
Enfin, en même temps que son recul vis-à-vis de la suppression de la révision obligatoire de la LLO, le gouvernement faisait savoir qu’il souhaitait être au courant lorsque plusieurs plaintes étaient déposées par la même personne au Commissariat aux langues officielles, et rendre cette information publique. Une proposition qui inquiète, en particulier la commissaire aux langues officielles qui considère que cela aurait pour but de discréditer certaines plaintes. Une inquiétude partagée par les partis d’opposition et la SANB.
Tout cela prend place dans un Nouveau-Brunswick où le français est en déclin. 31,9 % des Néo-Brunswickois avaient pour langue maternelle française en 2016, comparativement à 33,8 % en 1971. L’utilisation principale du français à la maison a aussi diminué de près de 3 points de pourcentage depuis 1981, alors que l’usage principal de l’anglais a quant à lui augmenté de 2 points. Cette situation renforce encore plus l’enjeu de la protection de la langue de Molière.
Des pistes d’évolution de la LLO refusées
Le déclin de la langue française au Nouveau-Brunswick appelle à des évolutions législatives pour mieux la protéger, et de faire du bilinguisme officielle une réalité. Pour cela, des pistes existent, et ont même pu être élaborées dans le cadre de la révision de la LLO.
En effet, en décembre 2021 a été publié un rapport (commandé par le gouvernement), écrit par la juge acadienne Yvette Finn et l’éducateur de carrière John McLaughlin, pour faire des recommandations au sujet de la révision de la Loi sur les langues officielles. Ce rapport conseillait notamment le renforcement des pouvoirs du Commissariat aux langues officielles, de réviser la LLO tous les cinq ans au lieu de dix, mais aussi la création d’un ministère des langues officielles.
Seulement, au-delà de l’année qu’il aura fallu attendre pour avoir une réponse de la part du premier ministre, ce-dernier n’a retenu aucune de ces recommandations présentées dans le rapport, et a seulement annoncé la création d’un Secrétariat aux langues officielles pour promouvoir le bilinguisme et conseiller le gouvernement à ce sujet.
Une évolution de la législation au-delà du cadre institutionnel
Rappelons enfin que si le débat autour de la révision de la LLO est houleux, il faut aussi souligner que la défense de la langue française ne doit pas se résumer aux institutions. Dans un Nouveau-Brunswick où le français est en déclin, la législation provinciale se doit également de se saisir des autres problématiques liées à la francophonie: emploi, immigration, éducation etc...
Concernant l’immigration par exemple, si on remarque une hausse du nombre d’immigrants francophones, il faut noter que le dernier recensement de 2016 a montré que 92 % des habitants de la province nés à l’étranger connaissaient l’anglais, et seulement 25 % connaissaient le français. C’est d’ailleurs pourquoi un rapport datant de 2018, fait par l’Institut Canadien de Recherche sur les Minorités Linguistiques, conseillait à ce que la province attire deux fois plus d’immigrants francophones afin de maintenir l’équilibre entre les deux communautés de langue officielle.
Le Québec s’est saisit de ces autres problématiques, comme avec la loi 96 adoptée en 2022. Elle prévoit entre autres que la connaissance du français soit prise en compte dans le processus de sélection pour les personnes voulant s’installer de façon permanente dans la province, mais aussi que les nouveaux immigrants recevront les services gouvernementaux exclusivement en français six mois après leur arrivée au Québec.
Cette province étant peuplée majoritairement de francophones, et n’ayant pas adopté le statut de bilingue, il est évident que le Nouveau-Brunswick ne peut appliquer ces mesures à l’identique. Toutefois cela permet de montrer le rôle que peut avoir la législation provinciale sur ces différents aspects touchants à la francophonie, aspects dont doit se saisir le NouveauBrunswick, et ce même si l’évolution de la législation en la matière peut s’avérer difficile, comme nous le montre les controverses autour de la révision de la Loi sur les Langues Officielles.
Pour aller plus loin :
- Dominique Pépin-Filion, « La situation linguistique au Nouveau-Brunswick : des tendances préoccupantes et quelques signes encourageants », Institut Canadien de Recherche sur les Minorités Linguistiques, 2018
- « Histoires des langues officielles », Commissariat aux langues officielles
À PROPOS DE L'AUTEUR :
Alexis Vigner est étudiant en Relations Internationales à l'ILERI, en France. Il a entrepris un stage de deux mois chez Francophonie sans frontières entre juin et juillet 2023, s'intéressant particulièrement au développement durable dans le Sahel, à l'état de la francophonie en Vallée d'Aoste (Italie) et à la législation linguistique du Nouveau-Brunswick.